Edito Newsletter 29

Octobre 2025

! Des braises attendent les vents mauvais…

Ce lundi soir du 6 octobre dernier, les FDS[1] ont attaqué des postes de contrôle du nouveau régime dans le quartier Cheikh-Maqsoud d’Alep. Rafales de mitraillettes et pilonnages aux mortiers se sont déversés dans la nuit[2]. Au même moment et à proximité, les responsables de Créative Memory for Syria préparaient l’organisation des tables-rondes « Survivor Witnesses » au musée d’Alep, en souvenir des détenus et disparus sous le régime de Bachar El-Assad. « Coups de feu… bruits d’explosions ou d’artillerie. Terrifiant. Couvre-feu en vigueur. Je suis en sécurité. »[3]

Actuellement, il y a d’un côté le langage des armes (souvent de milices incontrôlées et de militaires mal encadrés) qui tuent odieusement et de l’autre, des mots qui tentent de réparer les relations humaines ; parallèlement, des délégations étrangères défilent dans le pays pour participer à la reconstruction des infrastructures du pays et faire des affaires[4]. Voilà les trois tendances qui traversent la vie des quartiers, des villes, des régions, et de la Syrie toute entière.

Réouvrir la Citadelle d’Alep, produire plus d’électricité, relancer l’exportation du pétrole syrien, faire accoster des cargos de blé à Lattaquié, négocier un grand nombre d’accords économiques, etc. sont des signes très encourageants pour l’amélioration – indispensable – des conditions de vie de la population. Beaucoup sont au chevet du relèvement de l’économie du pays.

Malheureusement, cela n’effacera pas les rancœurs, les dénis et les haines – profondément ancrées – qui sont des braises qui attendent les vents mauvais…

Dans ce contexte les démocrates syriens et les bailleurs internationaux ne sont pas encore rassurés. Parmi d’autres, quatre situations illustrent leur inquiétude :

  • La conservation des traces et des preuves des crimes de Bachar El-Assad est en cours : les charniers sont recensés, des expositions sur les détenus et disparus sont réalisées, des associations de défense des droits humains collectent des témoignages, des organisations internationales peuvent enquêter sur les prisons et les disparus, etc. tout cela grâce au faible moyen de la société civile, … mais sans le soutien franc et massif du régime.
  • Le nouvel État doit être exemplaire pour établir la confiance. C’est ce qui ressort des rapports officiels de la commission d’enquête sur les massacres du mois de mars dans la communauté alaouite. Mais on attend encore les condamnations des commandants qui ont laissés faire ces massacres, ainsi que ceux de la région de Souweida (juillet). Les Syriens espèrent que ces rapports seront suivis d’effets, de façon transparente.
  • La très faible représentation des femmes et des minorités dans la première phase de l’élection-nomination (atypique[5]) de l’assemblée constituante, qui vient d’avoir lieu sur une partie du territoire, sera-telle corrigée drastiquement par les prochaines 70 nominations du président de la transition ?
  • La visite d’Ahmed El-Charaa au principal associé du « boucher de Damas » à Moscou réveille les traumatismes de ceux qui ont survécu à ses bombardements. Comment peut-il demander timidement l’extradition de Bachar Al-Assad sans exiger aucun compte des crimes de Poutine, son principal complice ? Redresser l’économie de la Syrie est-il plus important que le respect de toutes les victimes qui ont combattu le clan Bachar et l’armée russe ?   

Après tant d’années d’innombrables violations – odieuses – de la personne humaine, l’avenir de la Syrie ne peut pas dépendre de la brutalité de la force armée lors de la prochaine convulsion inter-communautaire qui ne fera que dégrader plus profondément la confiance générale.

Tout ce qui concourt au dialogue, à l’écoute, à la santé mentale, à l’expression de la vérité, à la manifestation de la justice, à la lutte contre la corruption, à la justice transitionnelle, à l’inclusivité, à la réparation, etc. doit mobiliser TOUS les moyens de l’État, avec l’aide des bailleurs internationaux et l’appui des associations locales.

Le retour sur investissement sur le respect de la personne humaine sera long, mais c’est la condition essentielle pour que la Syrie revive vraiment, dans sa diversité, sans répétition des crimes.

Frédéric Anquetil

Secrétaire Général de Revivre


[1] FDS : Forces Démocratiques Syriennes liées aux unités kurdes

[2] Deux morts : un membre des forces de sécurité intérieur du nouveau régime et un civil qui n’avait rien demandé. Des blessés dans tous les camps et chez les civils. Des dizaines de familles ont fui ces quartiers. Le siège du quartier kurde par le nouveau régime serait à l’origine de ce déchaînement de violence ?

[3] Message de Sana Yazigi le 6 octobre à 21h sur les réseaux sociaux

[4] Quelques jours avant cet incident, c’est un forum économique franco-syrien qui se réunissait à Damas.

[5] Un comité suprême de onze personnes nommées par le président de la transition a désigné des sous-comités dans chaque district qui détermine le collège électoral. Ce collège électoral a désigné 140 députés pour siéger au Parlement. Les 70 autres députés seront désignés directement par le Président. En l’absence de recensement et de document d’identité pour un grand nombre, et face à la grande dispersion de la population, cette méthode a le mérite d’être opérationnelle dans cette période de grande fragilité de la situation.