Les Syriens en grève de la faim à Calais seront-ils entendus ? Une délégation de la police aux frontières britanniques est arrivée sur les lieux vendredi 4 octobre en début d’après-midi et a entamé avec les migrants des négociations dont l’issue a douché leurs espoirs.
Témoignage : « Pour nous c’est mourir ici à Calais ou bien aller en Angleterre »
La délégation britannique a en effet proposé d' »examiner au cas par cas » la situation de ces Syriens, mais uniquement pour ceux qui auraient de la famille sur le territoire britannique, a annoncé le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin, qui a participé aux discussions.
Une décision mal accueillie par les quelque 60 Syriens qui occupent depuis mercredi une passerelle piétons du terminal du ferry à Calais et dont 20 sont toujours en grève de la faim. Les migrants réclament le droit de se rendre en Angleterre, où tous ont de la famille, pour pouvoir y demander l’asile.
« Depuis le départ des policiers anglais c’est le statu quo : les migrants syriens sont toujours assis sur la passerelle, les CRS sont là aussi et toutes les négociations sont interrompues », rapporte à FRANCE 24 Mohamed Ouahab, médiateur de Médecins du Monde, présent sur place depuis mercredi.
« Les Syriens présents ici se sont mis dans une impasse »
Dès 7h30 vendredi, des CRS ont tenté de les déloger, mais ont dû reculer, lorsque deux des migrants, juchés sur le toit d’un bâtiment, ont menacé de sauter dans le vide.
« Demander l’asile en France pourrait bien rendre leur situation plus compliquée »
Le préfet du Pas-de-Calais a proposé aux migrants syriens de régulariser leur situation en déposant une demande d’asile en France. Or, cela pourrait bien les éloigner de leur but qui est de gagner l’Angleterre pour y faire une demande d’asile.
Interrogé par FRANCE 24, Sylvain Saligari, avocat spécialisé dans le droits des étrangers explique en effet que « les demandes d’asile sont centralisées au niveau européen ». En effet, un mécanisme est prévu, la Convention de Dublin, pour régir le cas des demandeurs d’asile en Europe et dont l’un des buts est précisément d’éviter qu’un demandeur puisse requérir l’asile dans plusieurs pays européens. Ce texte prévoit que si un exilé dépose une demande d’asile dans un pays alors qu’il a déjà fait une demande ailleurs, le second pays est tenu de le renvoyer vers le pays où sa première demande a été faite et où elle doit être instruite.
« Faire une demande d’asile en France permettra à ces migrants syriens d’avoir des papiers ici, mais pourrait risquer de leur compliquer la tâche si leur but est de demander l’asile en Angleterre », explique Me Saligari, qui précise « ce n’est pas impossible, mais cela prendra du coup beaucoup plus de temps ».
De son côté, le préfet du Pas-de-Calais, qui s’est ensuite rapidement rendu sur place pour parler aux migrants, leur a proposé de régulariser leur situation en France pour sortir de l' »impasse ». Il a souligné qu’il ne revenait pas à la France, « de décider de leur accès en Grande-Bretagne ».
« Aujourd’hui, les Syriens présents ici se sont mis dans une impasse qui ne fera pas évoluer leur situation. Ce que nous pouvons faire, c’est leur donner un statut sur le territoire français, de sorte qu’ils n’aient plus de problème » dans l’immédiat en France, a déclaré à la presse le préfet Denis Robin, après plusieurs heures de négociations avec les migrants syriens. « Autrement dit », a-t-il expliqué, « de faire une demande d’asile à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr), prêt à traiter leurs dossiers en urgence ».
« Sachant qu’il y a 95 % de réussite pour avoir le statut dans leur situation de Syrien », venant d’un pays, où sévit une guerre civile, a poursuivi le préfet, « il faut donc les convaincre d’avoir une logique de dialogue pour obtenir un hébergement de par ce statut, le temps de trouver une solution avec la Grande-Bretagne ». Interrogé début septembre par FRANCE 24, le directeur de l’OFPRA, Pascal Brice, avait déjà rapporté que le taux d’acceptation pour les demandeurs syriens était de 95 %, « un chiffre très élevé quand on sait que celui pour les demandeurs d’asile toutes origines confondues est de 25 % », avait-il ajouté.
« La police française n’a pas arrêté de nous traquer »
Mais la proposition du préfet est loin de rencontrer l’approbation des Syriens. « Vous n’imaginez pas par quoi nous sommes passés ici à Calais », confie à FRANCE 24, Abdelkader. Âgé de 24 ans, il vient de Deraa. Quand il a quitté la Syrie il y a déjà plusieurs mois, il était étudiant en mathématiques à la faculté de Damas. « On a fui pour sauver notre vie et notre avenir », explique-t-il.
« Ici la police française n’a pas arrêté de nous traquer », raconte-t-il. « Dès qu’on trouvait un abri pour dormir, un vieux bâtiment délabré, elle venait nous en chasser. Même quand on dormait dans la rue à même le sol, les policiers nous ont tabassés pour qu’on s’en aille », raconte-t-il, une vive émotion dans la voix. « On a même été en garde à vue, et expulsé du territoire ! Alors comment le préfet peut-il supposer qu’on va demander l’asile à la France, qui nous a traités de façon aussi inhumaine ? », s’interroge Abdelkader. « Nous tous, nous préférons rentrer en Syrie plutôt que de demander asile à la France », affirme-t-il catégorique.
Amara MAKHOUL-YATIM
« Plutôt rentrer en Syrie que demander l’asile à la France »