Publié le 17/09/2014
« Je voulais sauver les enfants, c’est pourquoi je suis restée en vie »: grâce à une chambre à air, Doaa, une Syrienne de 19 ans, a échappé au naufrage qui a fait des centaines de victimes parmi des migrants en Méditerranée le 10 septembre, sauvant aussi la vie d’un bébé que lui a confié sa mère désespérée avant de mourir.
Doaa Al Zamel et Mohamed Raad, un Palestinien de 23 ans, ont raconté mercredi leur calvaire à l’AFP, dans le port crétois de la Canée, où ils ont été amenés avec deux autres Palestiniens, un Egyptien et la fillette d’origine syrienne par un porte-conteneur qui les a récupérés.
Ils font partie de la dizaine de personnes, sur quelque 500, embarquées le 6 septembre en Egypte avec l’espoir de gagner l’Italie.
Tous deux, ainsi qu’un autre Palestinien qui a préféré ne pas s’exprimer, Abdelmazid Alhila, sont apparus en bonne santé physique mercredi, à l’exception de marques de brûlures solaires.
Mercredi dernier, pourtant, en pleine mer, et apparemment parce qu’ils refusaient de se laisser transférer dans une embarcation bien trop petite pour eux tous, les migrants auraient été victimes de leurs passeurs, qui ont coulé leur bateau, selon des témoignages recueillis par l’OIM (Organisation internationale pour les migrations).
Doaa et Mohamed sont plus évasifs : Il dit « n’avoir pas vu le bateau qui nous a percutés ». « J’étais sur le pont inférieur et je ne voyais rien. J’ai entendu crier et hurler. Cela n’a pas duré longtemps, le bateau n’a pas mis une minute à couler ».
Doaa pour sa part témoigne qu’un « bateau de pêche », dont elle ne dit pas par qui il était occupé, « nous a demandé de nous arrêter » et les occupants ont commencé à « lancer des objets en métal et en bois en nous insultant », mais comme le capitaine refusait de s’arrêter, « ils nous ont tamponnés jusqu’à ce que le bateau coule, ils nous ont regardés et ils sont partis ». D’après leurs traits, elle suppose que les agresseurs étaient « égyptiens ou libyens ».
— En Italie pour se marier —
« La collision s’est produite vers midi, et le bateau en métal, « pas en très bon état » selon elle, n’a eu aucune chance. « Un grand-père m’a suppliée de garder sa petite-fille d’un an », puis « une mère m’a demandé de garder sa fille de deux ans pour qu’elle puisse s’occuper de son fils de 6 ». Un autre garçonnet lui a été confié pendant quelque temps par sa tante, avant d’être repris par celle-ci.
« Nous sommes restés en groupe et nous avons prié Dieu pour être sauvés », dit-elle.
Mais tous ceux qui avaient demandé son aide sont morts sous ses yeux, le bébé d’un an dans ses bras juste avant qu’elle ne soit elle-même sauvée. Elle a pourtant pu sauver la vie de la fillette de deux ans, Syrienne selon elle, qui semblait hors de danger mercredi soir à l’hôpital d’Héraklion.
Dans le naufrage, Doaa, triste mais calme en racontant ce cauchemar, a aussi vu mourir son fiancé. « C’est lui qui avait trouvé les passeurs ». « Ils devaient nous amener en Italie pour que nous puissions nous y marier. Maintenant, je n’ai plus de raison d’y aller », soupire-t-elle, disant « n’être restée en vie que pour sauver les enfants ».
Mohamed se rappelle qu’après le naufrage du bateau, « 80 à 90 personnes » se sont retrouvées au milieu des flots à lutter pour leur survie. « Les femmes et les enfants avaient soif, les hommes ont uriné dans des bouteilles pour qu’ils boivent ». Puis, « nous sommes restés deux nuits et trois jours dans le froid, la soif, la peur », et « le troisième jour, les gens ont commencé à devenir fous », raconte le jeune barbier, qui a eu la chance d’avoir trouvé un gilet de sauvetage.
Dans sa somnolence, il s’imagine à un moment dans un hôtel, « et j’ai commencé à enlever mon gilet de sauvetage, mais j’ai soudain réalisé que j’étais en train de couler et je l’ai remis ».
Il revoit l’image de « certains qui avaient leurs enfants avec eux, et quand ils mouraient ils les laissaient juste glisser dans l’eau… »
Les disparus étaient Syriens, Palestiniens, Egyptiens ou Soudanais. Comme beaucoup, Mohamed était parti de Gaza, en quête d’un peu de paix. « Depuis que je suis né, je n’ai jamais vécu une seule journée heureuse. Toujours la tyrannie, la guerre, le chômage et ne pas savoir quand nous serons tués »…
Nota: Doaa Al Zamel a été primée le vendredi 19 décembre 2014, par l’Académie d’Athènes pour son action héroïque
Source de l’article :