De folles attentes … face au mur des réalités
Le rêve de démocratie qui fut autrefois le moteur de la lutte contre Bachar El Assad était (est ?) redevenu imaginable, mais il se prend le mur des réalités cruelles d’une Syrie détruite, désunie et déstructurée, matériellement et humainement. Après tant d’années de déceptions, de rancœurs, de haines, de mutismes, de douleurs, de frustrations, de méfiances, de doubles vies, de retournement d’alliance, de désespérances, de morts… les folles attentes de ce rêve initial peinent à se concrétiser. L’impatience est légitime.
La Syrie est une grande mosaïque communautaire politico-religieuse, fissurée de toutes part, dans laquelle chaque groupe, chaque tendance, chaque individu, espère voir émerger au plus vite son propre idéal dans les décisions du nouveau régime. Pour certains, le régime évolue vers un islam très rigoureux (« et bientôt une nouvelle dictature »), quand d’autres s’accrochent aux – insuffisants – signaux d’inclusivité.
C’est bien connu, on parle plus souvent des trains qui n’arrivent pas à l’heure. En Syrie on parle beaucoup des nominations et des alliances de ceux qui furent – dans un passé que personne n’oublie – plus ou moins compromis avec le régime de Bachar Al Assad ou avec des jihadistes, et on commente abondamment les décisions peu démocratiques et/ou mal exécutées. Et malheureusement, les massacres font le gros de l’actualité, alors que beaucoup d’initiatives constructives avancent, à (très) bas bruit, sans faire l’actualité.
Il y a trop d’assassinats[1] et d’enlèvements commis par des groupes incontrôlés, les uns sectaires, les autres plus ou moins mafieux. C’est malheureusement le tribut de toutes les périodes post-conflits dans un pays dévasté[2]. Et on ne peut douter de l’activisme de la Russie, de l’Iran, des extrêmes droites, des pro-Bachar, des mafias, etc. qui parient sur le chaos. Quand il s’agit des comportements scandaleux de membres des troupes gouvernementale, l’abîme n’est pas loin. Avec une population qui a faim, chaque étincelle peut déclencher un désastre. A cela s’ajoute le jeu trouble d’Israël qui abuse d’un pays à terre. La théorie du chaos est parfaitement illustrée : dans un système instable, un évènement insignifiant peut déclencher une tornade. On y est.
L’État doit prendre au sérieux les rancœurs de tous bords, purger sa troupe des éléments incontrôlables et établir la sécurité – pour tous – au plus vite. La nouvelle Syrie ne peut être la continuation de la violence banalisée par le clan Assad sous d’autres étiquettes … rivales.
Les démocrates syriens ont été complètement surpris par le succès de HTC (aidé de son allié turc), et étaient dans l’expectative, jusqu’alors. En fait, aucune force politique n’était vraiment prête à gérer la Syrie après le 8 décembre. Pas même HTC qui tente de rattraper son retard grâce à sa position dominante au sommet de l’État.
Aujourd’hui dispersées politiquement, et extrêmement éparpillées géographiquement du fait de l’exil dans le monde entier, les forces politiques qui défendent la liberté, la justice et la démocratie vont devoir s’organiser à l’intérieur – comme à l’extérieur – de la Syrie pour espérer peser dans les décisions, aujourd’hui et demain. C’est urgent.
[1] Déclaration de Revivre concernant le massacre dans l’Église St Elias à Damas le 2 juin 2025, et déclaration de Revivre concernant les massacres de juillet dans le sud de la Syrie.
[2] En France, l’épuration extra-judiciaire à la sortie de l’occupation allemande (qui a duré 4 ans), a entraîné la mort d’environ 9 000 personnes durant la première année (dont 30% par des résistants). Cela reste la partie honteuse de la Libération, mais il ne s’agissait pas de violence intercommunautaire sur base religieuse.