Au-delà d’Ahmed H., battons-nous pour une justice indépendante en Hongrie
L’érection d’une clôture à la frontière afin de contenir les éventuels réfugiés de guerre, n’a pas été uniquement conçue pour « défendre la Hongrie ». Sa fonction a également été de créer un terreau favorable pour la propagande gouvernementale contre ces déplacés, de provoquer des remous, et de donner lieu au type de sentence qui a frappé Ahmed H. : dix ans de réclusion et l’interdiction définitive d’entrer sur le territoire hongrois.

Il fallait, dit-on, condamner Ahmed H. à tout prix, car il aurait lancé des pierres sur les policiers – bien qu’il n’y ait aucune preuve que celles-ci aient atteint leur cible, dans la mesure où l’on ne voit même pas sur les enregistrements vidéo ce qu’il a envoyé dans leur direction. Ce même jour à Röszke (le 16 septembre 2015, ndt), il aurait calmé la foule selon certains, encouragé ses compagnons à franchir la frontière selon d’autres. Si l’on regarde l’histoire judiciaire hongroise, que ce soit en 2006 (année des manifestations contre le premier ministre MSzP Ferenc Gyurcsány, ndt) ou lors d’autres événements, de tels actes n’auraient en tout cas été punis que de deux ou trois années de prison avec sursis. Mais dans la mesure où Ahmed H. représente le « réfugié » tel qu’on se plait à l’imaginer, la cour a même invoqué de façon grotesque sa religion, faisant de ce jugement une décision de justice aux motivations principalement racistes. Ahmed H. a été condamné à dix ans afin de justifier la propagande gouvernementale qui cherche à marteler dans nos esprits que le danger est toujours là. En plus de la situation personnelle dramatique d’Ahmed H., l’autre problème c’est que la Justice a participé à cette campagne.
Souvenons-nous qu’avant la modification, l’année dernière, des lois par lesquelles le Fidesz a fait d’Ahmed H. un terroriste, aucun chef d’accusation en lien avec le terrorisme n’avait été retenu contre lui, comme le rappelle son avocat commis d’office. Ce dernier fut d’ailleurs brutalement révoqué en novembre de la même année et Ahmed H. dut affronter quelques heures plus tard une inculpation pour terrorisme.
Les témoins de la défense ne furent pas entendus au cours du procès. Il y eut bien des journalistes étrangers pour rappeler qu’Ahmed H. n’avait pas harangué mais au contraire calmé la foule (ce que les enregistrements vidéo montrent effectivement), ces derniers ainsi que d’autres témoins ne furent pas qualifiés comme tels par la Justice, qui préféra recourir uniquement aux témoignages des agents de police.
C’est ainsi que furent décidées les dix années de prison, quand bien même Ahmed H. et sa femme vivent légalement depuis dix ans dans l’Union européenne et que c’est pour accompagner leur famille qu’ils se sont retrouvés au poste frontalier de Röszke. Chacun de ses actes fut motivé par la volonté d’aider sa famille – dont sa mère âgée et malade – dans sa tentative d’entrer en Europe.
Si elle s’était trouvée le lendemain à la frontière hongro-croate, la famille aurait pu entrer en Hongrie, puis se rendre en Allemagne par l’Autriche, avec l’aide de l’État hongrois (après la fermeture de la frontière entre la Hongrie et la Serbie, le flux migratoire a rapidement dévié et des dizaines de milliers de migrants ont pénétré en Hongrie sans contrôle par la frontière croate, ndt).
Mais il semble que ces circonstances ne comptent pas lorsqu’il s’agit de faire un exemple. Lorsqu’il s’agit de prouver qu’il y a par chez nous des terroristes dont il faut avoir peur.
Ahmed H. a pris dix ans de prison, alors que les faits les plus graves dont il est accusé sont d’avoir parlé avec un mégaphone et lancé des pierres. György Budaházy, à qui l’on a reproché d’avoir méthodiquement organisé des actes terroristes contre l’État de droit, avait quant à lui été condamné à treize ans de réclusion. On peut penser ce que l’on veut de Budaházy, mais regardons le ratio « explosion de bombe » / « jets de pierres » : sérieusement, treize ans pour la bombe et dix pour les pierres ?
Il y a aussi l’affaire de ce médecin qui a versé de la soude sur les organes génitaux de sa maîtresse, et qui n’a été condamné qu’à quatre ans de prison. Lequel de ces crimes est le plus grave ?
On pourrait égrener les exemples encore longtemps. peut-être fallait-il condamner Ahmed H., y compris s’il était avéré qu’il eut fait tout ceci par provocation. Mais dix ans pour ce genre d’actes, ce n’est rien d’autre que l’instrumentalisation de la Justice au service de la propagande gouvernementale, et peu importe qu’elle puisse détruire la vie d’un homme.
Au-delà de la situation d’Ahmed H., le plus inquiétant est que tout ceci soit possible, sans aucune protestation de la part de la population, sans aucune indignation du côté des médias, sans aucune contestation de l’opposition, et en plus avec l’aide de la Justice.
Ce que montre ce silence, c’est qu’une propagande mensongère aussi bruyante suffit à faire de n’importe qui un terroriste. Tant que cela fait les affaires du Fidesz, elle suffit désormais pour qu’un homme se retrouve en prison.
Source :