Témoignage de Mazen Hammada: barbarie et impunité!

Mazen Hammada, technicien dans l’industrie pétrolière, de Deir-Ezzor, s’est d’abord fait arrêter deux fois, en avril et ensuite en déc 2011, à Deir-Ezzor, parce qu’il participait aux manifestations pacifiques, les filmait et ensuite les mettait en ligne ou les envoyait aux médias. 
La troisième fois, il s’est fait arrêter au souk de Damas, en mars 2012. Il y avait rendez-vous avec une doctoresse de Darayya pour lui remettre du lait pour les enfants des déplacés. Il s’est fait arrêter avec ses deux neveux qui l’accompagnaient et avec la doctoresse. Sa détention a duré un an et sept mois. Il était détenu à l’aéroport militaire d’al-Mazzeh à Damas.

FSD a traduit et publié son témoignage, accordé à la chaine télévisée Al-Ghad Al-Arabi et publié sur Youtube le 22 avril 2015.

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Mazen Hammada, interviewé par al-Ghad al-Arabi

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L’interrogatoire et la torture

« Ils nous ont mis dans une cellule de 1.40 sur 1.40m. Nous étions entre 10 et 12 personnes dans cette cellule. Nous devions nous asseoir 5 le long d’un mur et 5 le long du mur d’en face, et une ou deux personnes restaient debout. Nous faisions un tournus toutes les deux heures.

Pendant l’interrogatoire j’ai reconnu avoir participé aux manifestations mais l’officier m’a demandé de reconnaître avoir porté des armes et avoir tué… j’ai refusé. Ils m’ont couché parterre.. quatre hommes se sont mis à sauter sur moi avec leurs bottes militaires… mes côtes se sont cassées et je n’arrivais plus à respirer. L’officier m’a reposé la question et ma réponse est restée négative. Alors ils ont installé sur mon pénis une bride que l’on peut serrer… et ils se sont mis à la serrer… là j’ai cédé, pas seulement à cause de la douleur mais aussi de peur que mon pénis ne soit sectionné. J’ai reconnu à tort avoir porté une arme pour stopper le supplice… Ensuite, j’ai été suspendu par les poignets jusqu’à ce que j’accepte de reconnaître avoir fait exploser un check-point… Ils m’ont aussi enfoncé une barre de fer dans l’ anus et j’en ai encore les cicatrices… ces gens sont dénués de toute valeur humaine. »

Bouclier humain en août 2013

« Lorsqu’il y a eu menace d’une frappe américaine possible suite à l’utilisation d’ armes chimiques à large échelle à al-Ghouta, à Damas, ils nous ont transférés dans les hangars d’aviation pour que nous soyons tués sous les bombardements. Nous étions environ 700 détenus par hangar. Nous y sommes restés un mois environ avant de retourner en cellule. »

Les conditions de détention

« Chaque jour il y avait un ou deux morts dans notre cellule, car nous avions pas assez d’air et les conditions de détention n’étaient pas supportable pour les personnes âgées ou malades. Nous étions alors 180 dans une cellule de 11×6 m2. Nous devions nous asseoir et d’autres s’asseyaient sur nos genoux. Parfois le gardien mettait son fusil dans la fente de la porte et il tirait sur le plafond en dessus de nos têtes… la balle restait parfois plantée dans le plafond ou alors elle ricochait et touchait l’un de nous. »

L’hôpital militaire 601

« Suite à mon interrogatoire et à la torture barbare que j’ai subie, j’avais les côtes cassées, je vomissais et j’urinais du sang. J’ai alors été transféré, avec d’autres, à l’hôpital militaire 601 de Damas. Dès notre arrivée à l’hôpital nous avons été accueillis par des coups de bâtons ou de chaussures par les infirmiers et les infirmières. Ensuite nous avons été placés à trois par lit et menottés. La nuit je suis allé aux toilettes, j’ai ouvert la première porte j’y ai trouvé deux cadavres, j’ai ouvert la deuxième, j’y ai trouvé deux cadavres, je suis allé vers le lavabo, il y avait là le corps d’un jeune homme blond d’environ 17 ans… Là, j’ai disjoncté, le gardien me parlait mais je ne pouvais pas répondre.. alors il s’est mis à me tabasser… Il y avait aussi un gardien à l’hôpital qui se donnait le surnom Azraël, l’ange de la mort. Il est arrivé une fois à minuit avec une barre de fer avec des pointes. Il a demandé qui parmi nous avait besoin de médicaments. L’un de nous a répondu par l’affirmative. Alors Azraël s’est approché de lui et lui a dit : « Le tribunal de Dieu t’a condamné à mort » et il s’est mis à le tabasser jusqu’à l’éclatement de sa tête. Il en est mort et il a été ensuite transporté aux toilettes. »

Sadisme

Vers la fin de ma période de détention nous avons dû donner nos empreintes en attendant d’être transférés pour être jugés devant le tribunal. Il y avait un enfant de seize ans avec nous. Le gardien lui a demandé d’où il venait, il a répondu de Darayya (lieu symbole de protestations pacifiques à Damas). Il l’a alors tabassé et ensuite il a amené un poste de soudure et lui a brûlé le visage, qui a littéralement fondu… nous l’avons ramené dans la cellule, nous avons tenté de rafraichir ses brûlures, mais deux jours plus tard il est décédé… Mon cœur s’est brisé pour cet enfant. »

La fuite de Syrie

« Après ma sortie de détention, comme j’étais toujours recherché par le service de renseignement (les différents services ne communiquent pas). Je me suis alors rendu clandestinement à Deir-Ezzor. Ensuite j’ai fui la Syrie vers la Turquie où j’ai pris le bateau vers la Grèce et ensuite un camion pour arriver aux Pays Bas. »
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L’impunité!

Il faut préciser ici que les officiers et les gardiens des centres de détention bénéficient d’une impunité totale… impunité qui incite les personnes dérangées à développer de plus en plus des méthodes barbares pour torturer les détenus…Et c’est la même impunité dont bénéficie Assad et ses semblables qui rend ces dictatures de plus en plus barbares…

Non à l’impunité!… Seule la justice peut acheminer la Syrie vers la paix.

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Source de la traduction en français, FemmeS pour la Démocratie

https://femmesdemoc.wordpress.com/2015/04/26/temoignage-de-mazen-hammada-barbarie-et-impunite/

Source vidéo en arabe :

https://www.youtube.com/watch?v=mvLMh7meYfY&feature=youtu.be

 

Syrie: battus, pendus, recouverts de cafards, le quotidien des détenus du régime

Pendant deux ans, les journées de Mohsen al-Masri ont été rythmées par les tortures. Suspendu au plafond, recouvert de cafards, battu encore et encore… Il a survécu et peut aujourd’hui témoigner, pour les 12.000 personnes mortes dans les prisons du régime syrien.

Son visage rond désormais émacié, Mohsen, un nom d’emprunt, raconte les sévices et humiliations depuis son exil turc. «Chaque fois que l’on était transféré d’un centre à un autre, on avait le droit à une ‘fête de bienvenue’, (les gardes) nous battaient brutalement, avec des bâtons».

le quotidien des détenus du régime

Mohsen a été pendu par les poignets des heures durant, ses orteils frôlant à peine le sol. Parfois, ses gardes glissaient des cafards sous ses vêtements, puis l’aspergeaient d’insecticide.

La torture pouvait aussi se faire psychologique. «Ils insultaient ma femme, me disaient qu’ils allaient aller chez moi et la violer».

Depuis le début de la guerre, en mars 2011, quelque 200.000 personnes ont été emprisonnées en Syrie, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). 12.000 ont péri en détention.

La plupart des détenus passent d’abord par les centres des services de renseignements, privés d’eau, de nourriture, de médicaments. Mohsen faisait 100 kg lors de son arrestation, il en pesait moins de 50 à sa sortie.

«Pour nous, vous n’êtes rien», a un jour lancé un de ses tortionnaires à Mohammad Samaan — un pseudonyme –, arrêté et emprisonné à deux reprises. «Nous torturons les gens parce que nous sommes sadiques. Nous aimons ça».

«Il m’a électrocuté et m’a dit d’écrire tout ce que je savais. Il a tout fait pour essayer de me faire craquer», explique ce militant pacifiste de 33 ans, originaire de Damas.

«J’ai survécu à un cauchemar. Rien (…) ne m’aurait préparé à l’horreur de la détention», raconte-t-il, se rappelant avoir lu, peu avant le début de la révolution, «1984» de George Orwell, qui décrit la vie sous un régime totalitaire. «Quand j’ai été emprisonné à mon tour, j’ai découvert qu’un tel monde existait, et que c’était en Syrie».

«Aujourd’hui, les souvenirs me hantent chaque jour, quand je mange, quand je dors», raconte-t-il d’une voix calme, tirant sur sa cigarette à Beyrouth, où il a trouvé refuge.

– Simulacres de procès –

Comme la plupart des détenus, MM. Samaan et Masri ont été transférés, après leur passage dans les bureaux des services de renseignements, dans les tristement célèbres prisons d’Adra et de Seydneya, après un simulacre de procès.

M. Masri, lui aussi militant pacifiste, a été jugé par un tribunal militaire. Et le procès de M. Samaan était, selon ses propres mots, une «farce». «Tous les juges en Syrie ne font que suivre les ordres des forces de sécurité».

Un constat partagé par un éminent avocat syrien spécialisé dans les droits de l’Homme. «Le régime ne respecte pas ses propres lois quand il s’agit des prisonniers», affirme-t-il sous le couvert de l’anonymat.

«Il y a quatre agences de sécurité en Syrie, et chacune est prête à tout pour montrer qu’elle est plus violente que les autres», ajoute l’avocat. Et de décrire un maillage sous-terrain immense de prisons et de centres de détention secrets.

«Rien qu’à Damas, il y a 30 ou 40 centres d’interrogation des services de sécurité et un nombre inconnu de lieux de détention secrets». Seuls les détenus dans les prisons officielles ont le droit à des visites.

En outre, plusieurs détenus sont emprisonnés comme «otages» et utilisés comme moyen de pression sur la personne voulue jusqu’à ce qu’elle se rende.

Le président Bachar al-Assad a bien accordé une amnistie à des milliers de personnes en juin, mais seule une poignée des prisonniers de conscience ont été libérés.

Pour la militante des droits de l’Homme Sema Nassar, le régime refuse de libérer les militants pacifistes qui ont joué un rôle essentiel aux commencements de la révolte, en mars 2011, par crainte de l’influence qu’ils pourraient avoir une fois libérés.

Le conflit syrien, débuté par des manifestations brutalement réprimées par le régime Assad, est devenu depuis une guerre complexe, où s’affrontent rebelles, groupes jihadistes et armée. Il a fait 200.000 morts.

La plupart des meneurs du soulèvement pacifique sont aujourd’hui morts, en prison ou réfugiés à l’étranger, selon plusieurs militants.

AFP

Source : Le quotidien « Libération »

http://www.liberation.fr/monde/2014/12/12/syrie-battus-pendus-recouverts-de-cafards-le-quotidien-des-detenus-du-regime_1162151

 

 

 

 

Première apparition publique de « César », ex-photographe de la police militaire syrienne, au Congrès US

« César », l’ex-photographe anonyme de la police militaire syrienne qui s’est enfui l’été dernier de Syrie en emportant 55.000 photographies effroyables de corps torturés, est apparu pour la première fois jeudi en public, lors d’une audition à la Chambre des représentants américaine.

 

César explique que son travail était de prendre en photo les cadavres pour le ministère syrien de la Défense, avant et après la révolution. Lui et les autres photographes avaient pour responsabilité d’archiver les photos et de les télécharger sur les serveurs de l’Etat syrien. A ce titre, il avait accès aux photos prises par d’autres photographes du régime.

Lire la totalité de l’article…..

http://www.lorientlejour.com/article/878674/premiere-apparition-publique-de-cesar-ex-photographe-de-la-police-militaire-syrienne-au-congres-us.html

 

César

Qu’est devenue la détenue Faten Rajab?

Chronique de la Syrie

Faten Rajab a passé plus de deux ans dans différents centres de détention (dont 18 mois dans celui du service de renseignement de l’armée de l’air à Damas) avant d’être transférée à la prison de Aadrs. Récemment, elle a été transférée de cette prison vers une destination inconnue.

Faten Rajab, née à Douma en 1979, est diplômée de l’université de Damas, en physique. Elle préparait un doctorat en physique quantique en France lorsqu’elle a décidé de l’interrompre pour s’engager pour la révolution syrienne.

Elle a été arrêtée le 24 décembre 2011 à Damas par le service de renseignement de l’armée de l’air et …..

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https://femmesdemoc.wordpress.com/2014/07/26/quest-devenue-la-detenue-faten-rajab/

 

Faten Rajab

 

Un témoignage d’une ancienne détenue traduit de l’arabe…

sans-titre« Les jours passant derrière les barreaux, je vis ce qui arrivait aux autres femmes et filles pendant les interrogatoires, elles étaient violées, torturées, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Je remerciais Dieu d’avoir été épargnée, les cas de viol étant quasi-quotidiens. Certaines filles étaient emmenées quotidiennement pour être violée par plusieurs hommes. Elles en revenaient ensanglantées, leurs corps couverts de traces rouges. »

 

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http://femmesdemoc.wordpress.com/temoignages/

Sources en arabe:

En Syrie, deux mascarades pour le prix d’une seule… mais un unique acteur

Une semaine après avoir brillamment terrassé ses faire-valoir, lors d’une élection présidentielle considérée comme une farce par une bonne partie des Syriens, Bachar al-Assad a décrété, le 9 juin, une nouvelle amnistie générale pour « tous les crimes commis jusqu’à cette date ». Bien qu’elle s’inscrive, selon les propagandistes du régime, « dans le cadre de la réconciliation et la cohésion (…) après les victoires de l’armée syrienne »…, cette initiative n’a pas vraiment provoqué au sein de la population, hormis parmi les thuriféraires inconditionnels du pouvoir en place, une vague d’enthousiasme délirant. Une bonne partie des Syriens a plutôt considéré que la comédie électorale avait accouché d’une nouvelle mascarade, un terme doublement approprié puisque le mot mascarade vient de l’arabemaskhara et évoque une « comédie hypocrite » et une « mise en scène trompeuse », bref un objet de ridicule et de risée.

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http://syrie.blog.lemonde.fr/2014/06/13/en-syrie-deux-mascarades-pour-le-prix-dune-seule-mais-un-unique-acteur/

© Jamal-al-jarah – artiste syrien

© Jamal-al-jarah - artiste syrien

 

Syrie : Des prisonniers politiques torturés et assassinés

Les tribunaux militaires et antiterroristes sont utilisés pour punir des dissidents pacifiques

 (New York, le 3 octobre 2013) – Le gouvernement syrien détient illégalement des dizaines de milliers de prisonniers politiques, au seul motif de leur activité pacifique, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch lors du lancement d’une campagne destinée à mettre leur sort en lumière. Beaucoup d’entre eux ont été emprisonnés pendant de longues périodes, et ont subi des actes de torture.
http://www.hrw.org/fr/news/2013/10/03/syrie-des-prisonniers-politiques-tortures-et-assassines

Viols collectifs, rat dans le vagin : en Syrie, le viol est une arme

« Il a inséré un rat dans son vagin. Elle hurlait. Ensuite on a vu du sang sur le sol. Il lui a dit : “C’est assez pour toi ?” Ils se moquaient d’elle. C’était évident qu’elle agonisait. Nous pouvions la voir. Après cela, elle n’a plus bougé. »Les témoignages de prisonniers syriens recueillis par le journaliste de la BBC Fergal Keane font froid dans le dos. Ils mettent en évidence que, comme dans bien d’autres conflits, le viol est une arme de guerre en Syrie. Les femmes, mais aussi les hommes, subissent ces sévices perpétrés par les forces de l’ordre syriennes, comme cette autre victime rencontrée par Keane.

Le jeune homme, volontaire dans une association de défense des droits de l’homme basée dans une église, explique avoir été violé par trois officiers après son arrestation en novembre :

« Les trois hommes, ils étaient comme des animaux. J’ai essayé de me protéger, mais je suis juste un homme petit. Lorsqu’ils étaient en train de me violer, j’ai commencé à dire : “S’il vous plaît, ne faites pas ça… s’il vous plaît, ne faites pas ça.” »

« Tu as dit que tu n’aimes pas Assad »

La victime ajoute que tout en le violant, ses bourreaux se moquaient de lui :

« Tu veux qu’Assad parte ? Ça c’est pour avoir dit que tu n’aimes pas Bachar el-Assad. »

Citant le rapport que Human Rights Watch a consacré à ce sujet, la BBC précise que les victimes ont souvent du mal à parler de leur agression, perpétrée justement dans le but de les humilier :

« Dans beaucoup de cas, les victimes ne veulent pas que leurs familles ou les autres membres de leur communauté sachent qu’elles ont été violées, à cause de la peur et de la honte. »

Le dernier rapport des Nations unies concernant la Syrie a lui décrit le viol comme l’un des crimes contre l’humanité infligé à la population civile. Le régime syrien a qualifié ce document de « ni juste, ni objectif ».

Les poursuites encore hypothétiques

Ni Human Rights Watch, ni les Etats-Unis n’ont jusqu’à présent rapporté l’utilisation des violences sexuelles par le camp des rebelles, ajoute la BBC.

Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, a insisté pour que ces allégations contre le régime syrien soient portées devant la Cour pénale internationale.

« Les décisions importantes prises à ce sujet dans les tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ont signifié la fin de la culture de l’impunité », écrit Fergal Kean.

La tâche s’annonce cependant ardue pour l’ONU, où les divisions entre pro et anti régime syrien rendent encore hypothétique l’aboutissement d’une telle démarche.

Marie Kostrz | Journaliste Rue89

Crimes contre l’humanité

Les trois naufragés de Tadmor

Benjamin Barthe
© Le Monde, publié le 12 janvier 2012
Abbas Abbas*, 59 ans, arrêté en 1987, relâché 14 ans plus tard./ Haytham Na’al, 60 ans, arrêté en 1975, relâché 28 ans plus tard. / Salameh Kaileh, 56 ans, arrêté en 1992, relâché 8 ans plus tard.Les Trois naufragé de TadmorPour les férus de ruines antiques, le nom de Tadmor est synonyme d’enchantement. Il évoque le dédale de temples et de colonnades qui surgissent des sables du désert syrien, à 200 km au nord-est de Damas, dans l’écrin de palmiers et de grenadiers dont la reine Zénobie avait fait la capitale de son éphémère empire, au IIIe siècle de notre ère.
Mais, pour les opposants syriens, Tadmor, appelée aussi Palmyre, est l’autre nom de l’épouvante. En marge de l’oasis, un bagne a poussé. Construit sous le mandat français, dans les années 1920, il fut pour le président Hafez Al-Assad – le père de l’actuel chef de l’Etat syrien, Bachar Al-Assad -, ce que Tazmamart fut pour le roi Hassan II du Maroc : un cul-de-basse-fosse, un abîme de secret et de bestialité, oublié de Dieu et surtout des hommes. Après l’avoir fermé au début des années 2000, pour cause de vétusté, les autorités syriennes l’ont rouvert durant l’été 2011, pour absorber le flot de manifestants faits prisonniers lors de la répression du soulèvement anti-Assad.

Passée inaperçue en France, la remise en service de Tadmor n’a pas échappé à Haytham Na’al, Salameh Kaileh et Abbas Abbas. Agés de 56 à 60 ans, ces trois opposants à la dictature en place à Damas sont des pensionnaires de Revivre, une petite association française créée en 2004, pour venir en aide aux ex-prisonniers d’opinion syriens. Fondée par Françoise de Morzière, alors chargée du dossier syrien à Amnesty International, elle permet d’offrir un traitement médical aux détenus les plus abîmés, soit en Syrie, soit en France. Dans ce cas, le réseau de relations de Revivre aide à octroyer aux protégés de l’association un logis et un titre de séjour, voire un statut de réfugié politique en France.

En sept années, une quinzaine de rescapés des geôles baasistes ont bénéficié de ce programme, dont Haytham, Salameh et Abbas, tous les trois passés par Tadmor et qui vivent aujourd’hui entre Paris et la Syrie. Bien qu’ils soient sortis de prison au début des années 2000, dans le cadre du « printemps de Damas » , la parenthèse réformatrice ouverte et refermée par Bachar Al-Assad à l’orée de son mandat, leur parcours en dit long sur l’horreur carcérale syrienne, sur son esprit et ses méthodes, perpétués de père en fils.

Le système qui a garanti depuis quarante ans l’hégémonie du Baas sera pour eux celui qui précipitera la chute de ce parti honni, au pouvoir depuis bientôt cinquante ans. « Un régime aussi assassin, ça ne peut pas continuer » , tranche Haytham Na’al, qui a passé vingt-huit années de sa vie dans les cachots syriens. Il est aujourd’hui logé dans un foyer Sonacotra du nord de Paris.

Les trois hommes s’initient à la politique dans la première vague de contestation de la dictature Assad, qui prend son essor en 1976-1977. Des ouvriers aux médecins, toute une société se réveille pour réclamer davantage de liberté. Le mouvement sera détourné par les Frères musulmans, dont l’insurrection armée fournira au régime le prétexte pour passer à l’action et annihiler toute vie politique pour les vingt années suivantes.

Mais, avant la répression, symbolisée par le massacre d’Hama en 1982 (de 20 000 à 40 000 morts selon les sources), l’extrême gauche syrienne a quelques mois pour rêver au » grand soir « . L’un des principaux artisans de la mobilisation est le Parti d’action communiste (PAC), une petite formation léniniste, en rupture avec le Parti communiste, membre de la coalition au pouvoir, qui recrute sur les campus étudiants. Âgés d’une vingtaine d’années, idéalistes et généreux, Haytham, Abbas et Salameh évoluent dans son orbite.

Il rêvait de partir étudier le cinéma à l’université Paris-Vincennes : Haytham est le premier à être arrêté, en 1978, à 22 ans. Abbas suit en 1987 ; puis Salameh en 1992. Ces deux-là tombent dans les filets de la branche Palestine (Fara’ Falestin) des renseignements militaires, l’un des services de sécurité les plus redoutés de l’autocratie syrienne. Initialement conçu pour surveiller les réfugiés palestiniens installés autour de Damas, ce simple département s’est transformé en pieuvre sécuritaire sous l’effet conjugué de la logique paranoïaque du régime et de la mise en concurrence de ses policiers.

Le parcours est ensuite » balisé » : interrogatoire, torture, signature d’une pseudo-confession et, en fonction de la » dangerosité » attribuée au détenu, envoi dans l’une des geôles du régime. Tadmor est réservée aux ennemis jurés : les Frères musulmans, les baasistes pro-irakiens, les soldats renégats et les cadres des partis de gauche, ou du moins ceux perçus comme tels.

Niché dans une cuvette au milieu d’une étendue rocailleuse, composé de bâtiments-dortoirs d’un étage espacés de cours, soumis à un climat glacial l’hiver et caniculaire l’été, l’établissement ressemble à un bout du monde, un terminus de la civilisation, comme l’a raconté l’ancien prisonnier Moustafa Khalifé, dans un récit suffocant, La Coquille (Actes Sud, 2007). « Dès que tu entres, on te rase la tête, dit Salameh, qui a croupi huit ans en prison et travaille comme journaliste à Damas, lorsqu’il ne suit pas un traitement contre le cancer à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif. Tu dois garder les yeux baissés en permanence. Tu dors à même le sol avec une pauvre couverture miteuse. Tu manges une bouffe infecte. Tu restes des mois sans te laver correctement. Tu te fais tabasser pour un oui ou pour un non. Tu n’es plus une personne, tu es une chose ».

Dans chaque cellule, de 50 à 100 mètres carrés, avec des murs surmontés de petits barreaux pour laisser passer la lumière, plus d’une centaine de détenus peuvent s’entasser. Il n’y a pas de télévision, pas de livre, pas de crayon et pas de papier, pas de visites, pas de médecin et bien sûr pas d’avocat. La seule » distraction » autorisée est la lecture de Tishrin, l’un des quotidiens du régime, parfaitement indigeste.

Parfois, les détenus enchaînent douze heures en position allongée et douze heures en position assise, sans discontinuer, pendant des semaines. Le moindre écart est signalé par le garde posté sur le toit, qui surveille la cellule au moyen d’une lucarne aménagée dans le plafond. Le contrevenant est aussitôt frappé à coups de gourdin, de câble électrique ou même de courroie de ventilateur de blindés. « De mon temps – dans les années 1990 – , la situation s’était un peu améliorée. On avait la place de dormir sur le dos. Mais, dans les années 1980, les détenus étaient tellement nombreux qu’ils devaient dormir sur le côté, l’un contre l’autre » , dit Salameh.

La grande affaire de la journée est la récupération dans la cour de la prison de la bassine en plastique remplie de rata. Un bouillon de légumes où surnage une couche de graisse ou de sauce tomate. Pour acheminer cette pauvre pitance jusqu’à leur cellule, les détenus disposent de deux minutes. Réservée aux plus vaillants, l’opération est qualifiée de « kamikaze ». Ceux qui traînent en route se font bastonner par les gardiens. Certains y laissent leur vie.
Et c’est cela, en définitive, la marque de Tadmor : le spectre, omniprésent, de la mise à mort. Car, outre le tabassage, le répertoire des matons comprend de nombreux supplices. Le plus célèbre est le « doulab » (pneu) : recroquevillé dans un pneu d’automobile, le prisonnier reçoit une volée de coups qui lui arrachent la chair des membres. La « chaise allemande » est très pratiquée aussi : la victime est attachée sur une chaise métallique munie de parties mobiles puis le dossier est incliné en arrière, ce qui peut provoquer une quasi-asphyxie, une fracture des vertèbres et une paralysie des jambes. Moins fréquent, mais typique du lieu aussi : le « tapis d’Aladin », une version moderne de la crucifixion.

Pour aller plus vite en besogne, la potence fonctionne, bien sûr, à Tadmor. « Au plus fort de la répression contre les Frères musulmans, près de 150 de leurs membres emprisonnés à Tadmor étaient liquidés chaque semaine, en toute discrétion » , affirme l’ancien diplomate Ignace Leverrier, qui coopère au réseau Revivre et tient le blog Un oeil sur la Syrie, hébergé sur Lemonde.fr. « On pouvait regarder les pendaisons en montant sur les épaules d’un compagnon de cellule, se souvient Haytham Na’al. C’était laid, c’était très laid ». Le 27 juin 1980, dans la foulée d’une tentative d’assassinat contre Hafez Al-Assad, son frère Rifaat – aujourd’hui dans l’opposition au régime -, pénètre dans le bagne à la tête d’une escouade de soldats : un millier de détenus sont massacrés en l’espace de quelques heures. « J’ai entendu les rafales, je les ai vus traîner les corps, dit Haytham. Si j’en ai réchappé, c’est parce que j’avais un numéro d’enregistrement, ma famille avait fini par savoir que j’étais là ».

Libérés, miraculés, les trois anciens prisonniers de Tadmor suivent l’actualité de leur pays avec un effroi tout particulier. Ils savent que les tortures qu’ils ont subies, d’autres qu’eux les subissent à leur tour. Ils savent aussi que, au mois d’août, des tirs nourris ont retenti sur le site de leur ancien calvaire. Les exécutions auraient-elles repris à Tadmor ? Impossible à dire. Assis en tailleur sur un lit d’hôpital, à Paul-Brousse, où il lutte comme Salameh contre un cancer, Abbas Abbas s’astreint à l’optimisme : « Le régime marche vers sa fin. Mais le chemin sera long et douloureux. »

* Abbas Abbas nous a quitté le 5 septembre 2012, après une longue lutte courageuse contre la maladie et a été enterré à Villejuif en France.