Des placards à cafards pour les demandeurs d’asile

Sibel Agrali, directrice du centre de soins Primo Levi et Agnès Afnaïm, médecin au centre de soins, dénoncent les conditions scandaleuses de logement en hôtel des demandeurs d’asile. Elles nous livrent le cas d’une famille qu’elles ont reçue au centre de soins et dont le bébé vient de faire un arrêt cardiaque.

Lakmal* a des séquelles graves des violences qu’il a subies dans son pays, où la répression politique peut s’abattre sur n’importe qui. Sa femme, Ama*, est enceinte de 5 mois. Avec leurs deux enfants, ils ont parcouru des dizaines de milliers de kilomètres pour arriver en France, pays des droits de l’homme. Aujourd’hui, en attendant la réponse à leur demande d’asile, la famille vit recluse dans une pièce humide et glaciale où l’air entre aussi peu que la lumière. Pas le choix… sauf que la semaine dernière, leur plus jeune fils âgé d’à peine un an a fait une détresse respiratoire, suivie, une fois arrivé aux urgences, d’un arrêt cardiaque respiratoire. Diagnostic : pneumopathie et état de mal asthmatique. Le médecin qui a pu le sauver est formel, ce sont les conditions de logement de l’enfant qui sont la cause de son état clinique gravissime.

Le froid, l’humidité, les cafards, les punaises, la promiscuité sont ainsi généralement le lot des demandeurs d’asile logés en hôtel. Les centres d’accueil qui leur sont normalement réservés n’ayant de place que pour 30% d’entre eux, ceux qui peuvent vont chez des compatriotes ou des parents ; les autres(1) sont soit à la rue, soit logés dans des hôtels sans aucun contrôle des conditions d’hygiène et de vie qu’offrent les gérants. Ces derniers profitent d’un dispositif d’asile à bout de souffle, et en particulier d’un manque cruel de places, pour faire croître leur bénéfice : ils entassent les familles dans des chambres insalubres à l’atmosphère confinée et malsaine, ils réduisent le nombre de salles de bains, ils interdisent de cuisiner dans les chambres sachant que les banques alimentaires, seul recours de ces familles, offrent principalement des produits non cuisinés. Et cette solution d’hébergement censée être temporaire peut durer des mois, parfois même des années. Depuis neuf mois, Lakmal et sa famille doivent se contenter d’un lit double et le radiateur qu’ils avaient réussi à se procurer leur a été confisqué début février. Leur seule liberté est de quitter l’hôtel, mais pour aller où ? Comme des milliers d’autres, ils payent le prix fort du débordement du Samu social.

Le recours à l’hôtel, qui impose des déménagements permanents d’un coin à l’autre de l’Île-de-France, si ce n’est plus loin, mettait déjà les familles en difficulté pour accéder aux associations d’aide ou pour scolariser les enfants. Mais depuis quelques mois, cette situation est passée à un stade critique qui outrepasse les limites de la dignité humaine et qui met en danger la vie d’hommes, de femmes et d’enfants.

Au Centre Primo Levi, où 350 réfugiés victimes directement ou indirectement de violences politiques sont soignés chaque année, le bébé de Lakmal est loin d’être le seul à être suivi par un médecin pour des raisons de conditions d’hébergement et d’insécurité alimentaire. « De façon générale, témoigne le Dr. Afnaïm, ces conditions aggravent l’état de santé physique et psychique des adultes comme des enfants. Les pathologies respiratoires, en particulier, sont de plus en plus fréquentes chez les plus jeunes. »

Le sentiment d’impuissance et de frustration est croissant dans notre équipe comme dans celles de toutes les associations d’aide aux demandeurs d’asile, sur lesquelles s’appuie le gouvernement sans pour autant leur donner les moyens d’apporter des solutions. Les travailleurs sociaux, mais aussi les psychothérapeutes (car il va sans dire que dans ces conditions, leur travail est également mis à mal), et de même tous ceux qui tentent d’apporter leur pierre à l’édifice, sont à bout de forces.

Nous exhortons donc le gouvernement à ce que les efforts annoncés en faveur des plus démunis, et en particulier le plan triennal présenté par la ministre du logement le 3 février dernier, soient suivis d’effet le plus tôt possible pour apporter un regard humain à sa politique de « gestion des flux » et mettre un terme à ce qui commence à représenter une réelle crise humanitaire.

*Les noms de la famille ont été modifiés.

(1)                 A notre connaissance, il n’existe pas de chiffres sur les conditions de logement des demandeurs d’asile hors CADA (centres d’accueil pour demandeurs d’asile).

Source : Mediapart, 24 MARS 2015

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/240315/des-placards-cafards-pour-les-demandeurs-d-asile

 

Un Conteneur d’aide médicale pour le peuple Syrien

IMG_5341Après plus de 2 mois d’effort, nous avons réussi, en s’associant avec le Comité de déclaration de Damas en France, à envoyer un conteneur de matériels et consommables médicaux chirurgicales, notamment 5 appareils de dialyse, à destination de la Syrie via la Turquie.
le conteneur mesure 40 pieds (76 m3), dont la valeur commerciale dépasse 70 000€.
Nos chaleureux remerciements à toutes les personnes qui ont travaillées sur ce projet, notamment l’association Shafak Syria en Turquie, l’association Medina, le laboratoire Hartmann et la clinique d’Aulnay sous bois pour leur générosité.

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Vidéo: Prisonniers d’Europe – Les jeunes syriens bloqués en Bulgarie

Pour les réfugiés syriens, la Bulgarie n’est que l’une des portes d’accès au continent européen. Leurs destinations finales sont autres : les pays riches du nord de l’Europe, et en particulier la Suède et l’Allemagne.

Les Syriens arrêtés par la police en territoire bulgare sont logés dans divers centres d’accueil, en attente d’une réponse à leur demande d’asile. Ils se retrouvent parqués dans une sorte de limbes : ils ont réussi à se mettre à l’abri, mais ils n’ont jamais atteint leur destination. Ils peuvent attendre ici pendant des mois, prisonniers de la bureaucratie et des règlements européens.

Ce reportage vidéo, réalisé en 2014 par Daniela Sala et Emilia Uski Audino, montre leur vie dans les centres d’accueil de Harmanli et de Voenna Rampa.

Sous-titres : cliquez sur “Paramètres” en bas à droite de la vidéo pour choisir la langue des sous-titres.

Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=nst6-hHVI40

Source : Focus on Syria

http://www.focusonsyria.org/fr/video-prisonniers-deurope-les-jeunes-syriens-bloques-en-bulgarie/

Photo : Un réfugié syrien avec sa fille en Bulgarie – à Voenna Rampa

Un réfugié syrien avec sa fille en Bulgarie

 

L’Association « Revivre » dans Le Monde : L’odyssée d’une famille syrienne en quête d’asile

Une famille syrienne en quête d'asile

En mai 2012, Ahmed ferme une dernière fois la porte de sa maison de la banlieue de Damas. La veille, un conseil de famille en a décidé ainsi. « Mon épouse, Abir, et moi savions qu’il fallait partir. Mais nous voulions l’accord de nos filles qui avaient alors 5 et 10 ans. Nous les avons réunies pour leur expliquer que le voyage serait épuisant et dangereux… Qu’on mourrait peut-être avant de trouver une autre maison ; mais qu’on ne survivrait pas si on restait là ». En prononçant ces mots, le regard d’Ahmed se dérobe ; comme s’il se repassait le film de cette soirée. Abir, elle, laisse couler des larmes silencieuses que regarde Omar, le petit dernier.

Trois ans plus tard, l’odyssée de cette famille (dont l’anonymat a été préservé par peur des représailles sur ceux qui sont restés à Damas, touche à sa fin). Depuis le 2 janvier, Abir, Ahmed et leurs trois enfants sont en France, le but de leur voyage. Un couple de jeunes retraités de Steinbach (un village du Haut-Rhin) leur a offert l’hospitalité. Lin (13 ans), Lara (8 ans) et Omar (5 ans), ont retrouvé des soucis d’enfants, oublié un peu les cadavres et le bruit des bombes. Tout va mieux, même si Omar ne dort toujours pas sans lumière et ne veut plus entendre parler de bateau.

Ahmed et sa famille ont accosté le 30 décembre 2014 dans le port de Gallipoli, dans le sud de l’Italie. La veille, le capitaine du Sky Blue M, le « cargo poubelle » à bord duquel ils sont venus de Turquie, avait bloqué les moteurs en direction des côtes. « Apercevoir les policiers [garde-côtes] a été un immense soulagement », soupire Abir en repensant à ce voyage apocalyptique. « À peine quitté les côtes, la tempête s’est levée. Au début on a essayé de convaincre les enfants qu’il était normal qu’on soit entassés à 700 dans les cales ; normal que la coque prenne l’eau et que le bateau bouge énormément… Alors que nous-mêmes pensions à chaque instant chavirer et couler… On ne mangeait pas pour ne pas vomir. On n’a pas dormi et on n’a plus eu d’eau à boire les deux derniers jours ».

« On ne s’était pas lavés depuis la Turquie »

À l’arrivée à Gallipoli, Ahmed savait que sa famille venait d’échapper deux fois à la mort. D’abord en Syrie où 200 000 personnes ont été tuées depuis le début du conflit, et puis dans ce bateau poubelle qui aurait dû depuis longtemps être au rebut. Pourtant, à l’angoisse du naufrage s’est vite substitué la hantise qu’on relève leurs empreintes digitales. Ce qui les aurait contraints à déposer leur demande d’asile en Italie, alors qu’ils souhaitaient gagner la France.

Pour limiter les risques, la famille s’est enfuie, le 1er janvier, du camp de toiles de tente où elle avait été transférée quelques heures après l’accostage. Enfants et parents ont franchi dès le réveil et en silence les 3 mètres du grillage d’enceinte pour prendre la route du Nord. « Je ne savais pas où on était. Tout le monde dormait dans cette ville où des chiens aboyaient sur notre passage. Il a fallu marcher des heures avant de rencontrer un homme qui nous a indiqué la gare. Là, on a pris un bus pour Milan, voyagé douze heures avec comme seul rêve de prendre une douche… On ne s’était pas lavés depuis la Turquie », confie Ahmed. Après, il y a eu le trajet pour Vintimille, puis le train pour Nice et enfin les 550 derniers euros dépensés pour prendre le TGV en direction de Paris. « Un jour je reverrai Nice, répète Ahmed. C’est la première ville où j’ai pu dormir d’un sommeil profond après ces années de galère. » Enfin, ils étaient en France. Symboliquement sauvés.

Aujourd’hui, Ahmed et Abir rêvent d’intégrer la communauté des 40 000 Syriens de France. La plupart sont là depuis longtemps. Les réfugiés du conflit actuel ne gonflent les rangs qu’au compte-gouttes. Depuis 2011, quelque 4 500 Syriens ont été accueillis sur le territoire français au titre de l’asile, quand 4 millions sont réfugiés hors de leur pays et 7,6 millions déplacés à l’intérieur. En 2014, quand l’Allemagne accueillait 10 000 réfugiés repérés par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) comme particulièrement fragiles, la France, elle, en prenait 500. Au faible nombre d’arrivées s’ajoute un accueil laissé au bon vouloir des associations et des bénévoles. « En dépit des discours politiques rappelant que les Syriens sont nos amis, la France ne fait rien pour les accueillir », s’agace Etienne Marest qui dirige l’association Revivre, qui s’occupe d’eux« Quand il s’agit d’héberger les naufragés de la route bloqués en partant aux sports d’hiver, on sait faire. On pourrait quand même créer des structures pour ces naufragés politiques »,  ajoute Michel Morzière, président d’honneur.  D’autant que pour beaucoup de Syriens, le déclassement est dur.

Déclassement

Abir et Ahmed étaient promis à une autre vie ; celle de la classe moyenne. Travailleur et habile négociateur, Ahmed avait rapidement fait fructifier son commerce. En 2010, les revenus de sa très occidentale boutique de vêtements, lui ont permis de s’offrir une maison en périphérie de Damas quelques années à peine après son mariage. « À Ein Tarma », prononce Abir dans un souffle. Ein Tarma, « c’était une banlieue chic. Un coin idéal pour élever ses enfants ». C’était… car très vite la répression aux manifestations anti Bachar el Assad l’a transformé en un quartier martyr. « On était bombardé sans cesse, coupé du reste de la ville et sans électricité. Comme j’étais le seul à avoir une voiture, j’ai beaucoup transporté de blessés et de médicaments vers l’hôpital de campagne. Plusieurs fois j’ai failli me faire prendre. En mai 2012, on a décidé de fuir plutôt que de mourir là tous les cinq », rappelle Omar.

Liban, Égypte, Turquie… la famille essaie d’abord le pourtour Méditerranée, où vivent 95 % des 4 millions de réfugiés syriens. « À Beyrouth les appartements les moins chers étaient dans un quartier contrôlé par le Hezbollah… On nous a vite fait sentir que ce n’était pas notre place à nous sunnites. Je suis allé à l’ambassade de France demander des visas, mais je n’ai même pas réussi à avoir une convocation officielle », rapporte le Syrien, conscient depuis cette date que pour venir en France, il lui faudra mettre sa famille entre les mains de passeurs. Il repousse l’échéance.

Nous sommes toute fin 2012. « On est rentré à Damas. Comme on n’y avait plus rien et plus de travail, on a décidé de tenter Alexandrie. Malheureusement, avec l’arrivée de Sissi au pouvoir en Égypte, on est vite devenu indésirables au point que des enfants ont coupé les cheveux de Lara… », se souvient la mère. Après cet échec, il ne restait plus qu’Istanbul dans la liste des possibles. « J’y ai retrouvé des fournisseurs de textile. L’un d’eux nous a aidés. Mais je ne travaillais pas suffisamment pour vivre. Au bout de 7 mois, on est une nouvelle fois revenus à Damas chez le frère d’Abir. Jusqu’à ce que je sois réquisitionné pour repartir à l’armée en dépit de mes 37 ans, que la police commence à me chercher ». Plus qu’une évidence, la France devient une urgence.

Reste à financer la traversée. « Depuis 2012, on vivait sur les 17 000 dollars d’économie que nous avions. Mais on avait presque tout épuisé et il a fallu emprunter aux proches les 15 000 pour payer la traversée », confie Ahmed, qui sait que dès qu’il retravaillera, l’argent ira au remboursement.

Désormais, la famille dispose enfin d’un récépissé de la préfecture de Colmar autorisant un mois de séjour en France. Le temps de déposer une demande d’asile. Dans la foulée, ils espèrent être logés car leur retour en région parisienne, même aidé par la communauté, reste très précaire. Et puis, les enfants attendent avec impatience une entrée à l’école. Pour revivre cette vraie vie d’enfant dont ils ont eu un avant-goût, quelques semaines à Steinbach.

Source : Le Monde 28 février 2015 – Par Maryline Baumard